Sur le Strip, la grande avenue de Las Vegas, il y a toutes sortes de panneaux d'affichage qui vantent les attractions du moment. L'un fait de la retape pour une revue de filles emplumées, un autre pour la chanteuse Shania Blair, le suivant pour Claude Monet. Monet en vedette à Las Vegas ? Adieu l'image kitsch de tripots enfumés et de danseuses de saloon. " Sin City ", la ville de perdition, est devenue une destination touristique chic et même culturelle avec musées, spectacles, restaurants gastronomiques et expositions impressionnistes.
Une sacrée métamorphose pour un ancien dépôt ferroviaire planté dans un des coins les plus inhospitaliers des États-Unis. En 1905, trois compagnies de chemin de fer mettent aux enchères 1 200 parcelles de désert. Ici, promettent-elles, s'élèvera bientôt une bourgade sur la ligne Salt Lake City-Los Angeles. Les spéculateurs font monter les enchères. En deux jours, les lots s'envolent pour 265 000 dollars, une somme astronomique. Mais Las Vegas serait probablement restée un trou perdu si en 1931, le Nevada n'avait légalisé le jeu et le divorce pour stimuler l'économie. Mission réussie au-delà de toute espérance. Après la guerre, entre les mains expertes de la mafia italo-juive et grâce à l'essor de la clim, la ville explose. " Bugsy " Siegel, un gangster visionnaire, crée en 1946 le premier casino chic, le Flamingo, sur le Strip qui n'est encore qu'une piste poussiéreuse. Au fil des années, le Dunes, le Stardust ou le Tropicana deviennent le rendez-vous de tout Hollywood.
En 1965, Jay Sarno, un promoteur, décide de se distinguer de ses concurrents en créant un hôtel sur le modèle d'un palais romain avec colonnes, frontispices et bien sûr serveuses en tuniques courtes et gladiateurs. Le succès est colossal. Dans les années 70-80, se construisent toutes sortes d'hôtels géants à l'architecture délirante. Sur le Strip se côtoient bientôt une pyramide, un château médiéval, la Tour Eiffel et une réplique du Grand Canal avec gondoles .. à moteur !
Mais au début des années 90, la légalisation des casinos sur les réserves indiennes et dans de multiples États fait de la concurrence à Las Vegas. Les revenus du jeu plongent de presque 500 000 dollars en 1992. La ville décide alors de viser une nouvelle clientèle plus familiale. Les hôtels se mettent à rivaliser d'extravagance avec un volcan artificiel qui crache des flammes toutes les 15 minutes, une bataille de bateaux pirate au Treasure Island..Le MGM investit 100 millions de dollars dans un énorme parc d'attraction. Mais la clientèle à poussette ne dépense pas assez. Le MGM ferme son parc au bout de neuf mois et le remplace par des villas de luxe et un spectacle de cabaret osé.
Une fois de plus Vegas change de cap et se recentre sur les adultes chics. Las Vegas " a subi plus de réincarnations que Madonna et Barbie réunies ", note un journal avec humour. Steve Wynn, propriétaire d'hôtels prestigieux et grand orchestrateur des mues de Las Vegas fait à la fin des années 90 un pari risqué. Il ouvre en 1998 le Bellagio, un palace de 1,6 milliard de dollars, avec grands chefs et galerie d'art, qui vise le touriste haut de gamme.
Bingo ! Depuis, Vegas se donne des airs de Manhattan des sables. Steve Wynn, toujours lui, ouvre en 2005 le Wynn Las Vegas - 2,7 milliards, 2 700 chambres, un golf et une ribambelle de boutiques prestigieuses, d'Hermès à Vuitton sans oublier un concessionnaire Ferrari. Pour l'isoler des badauds, il a édifié une " montagne " artificielle de 43 mètres plantée d'une vraie forêt et de cascades. Les Alpes en plein désert ! Il ouvre ensuite " Encore ".
De son côté, MGM Resorts International lance CityCenter, le plus gros projet immobilier de l'histoire de Vegas avec quatre hôtels, deux tours d'appartements, un centre commercial, un centre de conventions.. construit par toutes les stars de l'architecture : Daniel Libeskind, Cesar Pelli, Rafael Viñoly, Helmut Jahn et Norman Foster. Même si la tour de ce dernier va devoir être détruite pour cause de malfaçon ! Le projet achevé en 2010 comprend aussi toutes sortes d'oeuvres d'art de Maya Lin, Nancy Rubins, Claes Oldenburg, Henri Moore.. Les casinos continuent à prospérer, -les revenus du jeu ont atteint l'an dernier 7,3 milliards en 2011- mais les dépenses des touristes en repas, hôtel, shopping et spectacles augmentent plus vite. Tous les grands chefs du monde se pressent à Las Vegas. C'est une véritable cantine française de luxe. On y trouve Guy Savoy, Joël Robuchon, Alain Ducasse, Pierre Gagnaire.
Outre les hôtels, c'est la course aux tours d'appartements. Parce qu'au début des années 2000, tout le monde veut une résidence secondaire à Las Vegas. Autour du Strip, les tours de grand standing poussent comme des champignons. Le Nevada au début des années 2000 a la plus forte croissance démographique du pays. Plus de 6 000 personnes viennent s'y installer chaque mois attirés en partie par les emplois liés au boom de la construction. Entre 1995 et 2005, 40 000 nouvelles chambres d'hôtels sont créées pour recevoir en 2009, 39 millions de visiteurs.
La récession économique de 2008 frappe Las Vegas de plein fouet et manque stopper net la construction du CityCenter. De 2008 à 2011, le taux de chômage triple et le nombre de saisies immobilières explosent. C'est aujourd'hui encore le deuxième Etat pour le nombre de saisies, soit une maison sur 390. Las Vegas est jonchée de carcasses de tours vides inachevées.
Depuis quelques mois, l'économie repart doucement, le nombre de visiteurs remonte (38,9 millions en 2011). Et Las Vegas continue sa réinvention en " capitale du loisir " où tout est possible : tirer au M16, résoudre un crime dans une attraction interactive sur le modèle de la série " les Experts " ou encore se marier dans un fast food !
Mieux, Las Vegas est de plus en plus culturelle. Le Cirque du Soleil n'a pas moins de sept shows différents en permanence. Ces derniers mois ont ouvert une grande salle de spectacle et deux musées fascinants. Le Musée des Néons fait revivre la ville à travers ses étonnantes enseignes lumineuses, comme celle de la dernière station service avant le désert qui affichait " Aspirine gratuite et toute notre sympathie ".
Le Musée de la Mafia installé dans un beau bâtiment des années 30 retrace l'histoire de la pègre qui a contrôlé Vegas pendant des décennies et prospéré grâce aux casinos. Sans parler des expos temporaires sur Monet et Léonard De Vinci. Les bandits manchots conccurencés par les Impressionnistes.. Bugsy Siegel doit se retourner dans sa tombe.